Une famille ordinaire
Une famille ordinaire
Je suis né en 1966 à Bonn en Allemagne. J’ai grandi dans une famille allemande ordinaire de la classe moyenne. Un jour, en l’espace d’une heure, j’ai pris conscience de l’étendue de l’horreur du passé de mon pays. Au cours d’histoire : un film sur les camps de concentration. Bien sûr, je savais déjà…tous les jeunes de ma génération « savaient » ce qui s’était passé. Mais je me rappelle ce jour-là, jour-assommoir pour cette classe d’une trentaine d’adolescents d’habitude assez crâneurs : le silence, la gêne, la sidération, puis la honte ! Nous appartenions donc à ce peuple qui avait commis « cela ».
Et ma propre famille ? Mes parents, nées en 1938 et 1946, étaient trop jeunes. Du coté maternelle un grand père cheminot communiste et une grand mère dont je ne sais pas grand chose. Jusqu’à là tout va bien. Du coté paternel un grand père, nous étions très proche, il était professeur des écoles…fonctionnaire d’état…donc « obligé » de prendre sa carte du partie funeste…il m’a « tout » raconté quand j’avais dix ans : la montée du nazisme…sa peur, sa lâcheté et l’humiliation.
Sa femme, ma grand mère bien aimé, me préparait toujours mes plats préférés quand je venais chez eux. C’était une femme simple, une fille de la campagne heureuse d’avoir épousé un maitre d’école. Elle avait un frère ainé. Il s’appelait Emil. Je me rappelle l’odeur du tabac que fumait le grand oncle Emil. Pendant les réunions de famille il me faisait sauter sur ses genoux. Parfois il me caressait les cheveux. Ma grand mère me racontait plus tard avec une certaine fierté, comment son frère, «jadis», revenait au village pour rendre visite aux siens. « Il était si beau en uniforme ( de la WaffenSS ! ). Tout le monde le respectait, il était devenu quelqu’un…». Et c’était donc ces mains-là qui m’avaient caressé les cheveux.
Je suis né dans cette famille ordinaire et le jour de la projection du film j’ai pleuré. Les images étaient insoutenables. Certains garçons de la classe ne pouvaient ou ne voulaient pas regarder. Moi, j’avais besoin de savoir…
Comment ce fut possible ? Comment ?
Né un peu plus tôt dans une famille ordinaire de la classe moyenne allemande, qu’aurais-je fais ?
Sept décennies après la fin de cette folie meurtrière, que dire de cette montée nauséabonde de populisme au cœur de l’Europe et un peu partout dans le monde ? L’histoire n’est pas la même, je le sais bien, n’empêche…
Comment est-ce possible ?
Aujourd’hui, tous ces gens nés dans des familles ordinaires…Comment ?
image @Jörg Langhans, de la série « Les désastres de la guerre », 50 x 65 cm, aquarelle et pastel sur papier, 2015