La jeune femme à la robe rouge
Une visite à la Gemäldegalerie de Berlin, suite
La jeune femme à la robe rouge
Je plonge dans un visage peint par Cranach en 1503 . La peinture est d’une qualité exceptionnelle : tout est lumineux, précis et vibrant à la fois. On peut y voir, « sous la peau », les traces de l’esquisse qui porte ce visage. Ce sont les premiers gestes de la main qui a cherché à dire ce visage. Le visage d’une jeune femme à la robe rouge. Je me demande si elle a été heureuse, si son regard perdu dans le vague est l’expression d’un caractère nostalgique, si ses bras posés sur son ventre protègent un enfant à venir ou si c’est un geste bien à elle, comme pour se rassembler, je me demande si cette coiffe volumineuse cache une chevelure abondante qu’elle ne peut montrer qu’à son époux. Je me demande si Lucas Cranach l’ancien n’était pas tombé amoureux de son modèle, si Lucas encore jeune lui-même, n’avait pas placé cette femme au milieu de ce paysage juste pour peindre ces deux arbres, l’un plein de feuilles et l’autre presque nu…pour dire sa beauté éphémère ? et pour placer au fond à droite cette montagne enneigé…inatteignable. Cranach qui 30 ans plus tard allait peindre ces énigmatiques Venus sur fond noir.
Je ressens comme une gêne…juste à côté de moi, à quelques centimètres, impatiente une autre femme. Elle aussi porte une robe rouge mais son visage m’est désagréable. Ça faisait combien de temps que je l’empêchait de se poser là ? Je m’excuse platement, Entschuldigung, ich habe vor mich hergeträumt, je me détourne et là je rencontre le regarde calme d’un homme avec un curieux manteau à col de fourrure. Nous sommes pourtant en plein mois d’aout et il fait 33 degrés à Berlin. Il me fixe, plein d’assurance, me sourit un peu et je me dis qu’ici, il faut s’attendre à tout.
PS. : Le portrait de la jeune femme est le pendant d’un autre portrait conservé au musée de Nürnberg. Il représente son époux, un avocat de l’université de Vienne. Le portrait fut longtemps attribué à Dürer.
Images : Bildnis einer Frau eines Rechtsgelehrten, 1503, peint par Lucas Cranach l’ancien