SILEX/EXILS
SILEX/EXILS
Depuis quelques mois je dessine des silex ramassés au pied des falaises de la côte d’Albâtre. Je les dessine patiemment. Pierre après pierre. Chacune unique et pourtant semblable aux autres.
Quand tu observes une pierre longtemps, tu comprends peu à peu ce que sa forme a de particulier, tu arrives à la transposer assez fidèlement en deux dimensions et parfois tu arrives à lui donner une présence véritable. Par présence véritable, j’entends que l’image produite est plus qu’une représentation fidèle. C’est l’objet plus mon regard plus ce temps nécessaire à la réalisation. C’est du réel augmenté en quelque sorte. Ça s’est toujours passé ainsi quand un homme se met à transposer ce qu’il voit dans un langage artistique. Parfois c’est d’une banalité affligeante mais parfois il y a quelque chose de nouveau qui existe.
Au fur et à mesure que j’avance dans l’exploration d’une même forme, elle m’apparait plus étrangère. Comme si la connaissance et la familiarité avec ses bosses et ses creux m’entrainait inexorablement dans un monde qui n’est pas le mien : Le monde minéral. Le monde avant nous, qui sera aussi le monde après nous.
Dessiner ces silex est une manière d’éprouver une solitude, une solitude onthologique. Je devine qu’à l’intérieur de chaque caillou se love encore autre chose qui me sera à jamais inconnu.
Quand je fais un portrait, j’essaie toujours de rester fidèle à mon modèle sans perdre de vue la nécessité de faire remonter à la surface de la toile ce qui est caché. ( Parfois la proximité avec mon modèle facilite ce mouvement, parfois c’est juste le regard et ce sont les yeux de l’autre qui me permettent de plonger derrière son visage. A ce moment j’ai l’impression de mieux sentir la force de cette présence de l’autre et le mystère qui l’accompagne.)
Quand je dessine les cailloux pas d’altérité au sens véritable. Deux solitudes de nature différente se font face. Le silence têtu d’une forme surgi de la nuit du Crétacé millénaire face aux élucubrations d’un représentant d’une espèce passagère. Et puis, arrive un moment, quand tu as déjà dessiné depuis des heures, quand tu as enfin oublié qui tu es, où tu as l’impression que c’est la pierre qui te regarde. Est-ce qu’ici, en dessinant ces cailloux solitaires, je suis encore et toujours en train de faire des portraits, des portraits de pierres ?
SILEX/EXILS, anagramme que je trouve d’une grande beauté !
Dessiner des silex et se sentir « Homme-Pierre » pour un instant, un instant d’éternité.
Et cette question qui nous hante : Que restera t-il de nous ? Que restera t-il de notre espèce sur cette planète bleu, sur cette planète extraordinaire ?
Peindre, c’est d’abord regarder le monde qui est le nôtre. Le regarder de plus près et se tenir plus loin.
Image : mur d’atelier décembre 2024, série SILEX/EXILS, 2024, aquarelle, pastel et crayon de couleur sur papier, 29,5 x 42,5 cm