Franz Kafka, « Les assassins »
Franz Kafka, « les assassins », « Les désastres de la guerre » ( suite)
« Ecrire, c’est sortir du rang des assassins ». J’entends cette phrase à la radio. Je continue de dessiner, les voix redeviennent un bruit de fond, je ne les écoute déjà plus, toute mon attention va de nouveau vers ce que je fais. Ca fait quelques semaines déjà que je travaille d’après une série de gravures de Goya : Les désastres de la guerre. Je les connais depuis longtemps et souvent j’allais les observer au Prado quand je vivais à Madrid. Je m’étais juré de m’affronter un jour à ce « sommet ». Je l’ai fait de façon détourné à travers « les écorces »…Maintenant, je suis dedans ! Ca s’imposait de plus en plus, pas la peine d’en dire davantage…Mais comment va encore cette phrase ? « Ecrire, c’est sortir du rang des assassins » ! J’aime tout de suite cette « formule », je peux la prendre à moi, oui ! elle est pour moi. J’aime cette idée de Kafka, j’aime Kafka, oui, ainsi tout en dessinant je ne deviendrais pas un assassin ! Surtout : ne jamais m’arrêter de dessiner !
Mais en quoi au juste, écrire, ou dessiner, créer donc, nous ferait-il sortir du rang des assassins ?
L’art est-il un véritable antidote contre la barbarie ?
Certes, il vaut mieux avoir à faire à des gens éduqués qu’à des gens incultes. Il est bien plus facile de faire des seconds de bons bourreaux. Malheureusement l’histoire nous a enseigné qu’il y a des meurtriers raffinés…
J’ai cherché la fameuse citation, mais, quelle déception ! elle n’existe pas, pas ainsi en tout cas. Cette « fausse maxime kafkaïenne » nous vient de son journal du 27 janvier 1922. La note est plus longue, voici juste le passage où se niche l’origine de cette phrase :
27. Januar.
Merkwürdiger, geheimnisvoller, vielleicht gefährlicher, vielleicht erlösender Trost des Schreibens: das Hinausspringen aus der Totschlägerreihe, Tat-Beobachtung. Tatbeobachtung, indem eine höhere Art der Beobachtung geschaffen wird, eine höhere, keine schärfere, und je höher sie ist, je unerreichbarer von der »Reihe« aus, desto unabhängiger wird sie, desto mehr eigenen Gesetzen der Bewegung folgend, desto unberechenbarer, freudiger, steigender ihr Weg.
Franz Kafka,Tagebücher, 1910-1923
« Etrange, mystérieuse consolation donnée par la littérature, dangereuse peut-être, peut-être libératrice : bond hors du rang des meurtriers, acte-observation. Acte-observation, parce qu’une observation plus haute est créée, plus haute, non plus aiguë ; et plus elle s’élève, plus elle devient inaccessible au « rang », plus aussi elle est indépendante, plus elle obéit aux lois propres de son mouvement, plus son chemin est imprévisible et joyeux, plus il monte. »
( Traduction Marthe Robert )
Difficile de se « servir » de Franz Kafka !
Ecrire-observer, en un seul mouvement créer une autre réalité, se détacher ainsi du réel, entrer dans une spirale ascendante, tel le derviche, qui dans un moment de grâce touche au divin. C’est en cela qu’écrire, que l’art peut être une consolation, une libération même. C’est en cela qu’il s’agit d’un saut hors du rang des meurtriers. C’est en cela qu’il s’agit d’un bond, d’un bond vers l’inconnu.
Jörg Langhans, « Les désastres de la guerre »,d’après Goya, 2016, pastel on paper, 50 x 65 cm